Souvenirs
J'aime
mes souvenirs. Je sais les utiliser à bon escient. Je m'en souviens
avec délectation. Ils sont le reflets de moments qui ont été et qui ne
seront plus jamais. Les souvenirs ne se répètent pas, ils sont toujours
différents. Les souvenirs sont là, comme des peintures dans la galerie
de notre cerveau.
Comme
elles, le temps les altère, les couleurs se dissolvent, les contours se
dissipent. Mais ce n'est pas important, car nous les connaissons par
cur nos peintures, pour les avoir visitées cent fois. Les détails
s'estompent et ce que nous ne voyons plus, nous le ressentons. Les
images s'effacent beaucoup plus vite que nos sentiments.
Il
est des souvenirs cruels. Ceux-là, je les ai remisés dans un couloir
obscur. J'y ai accès, si je le désire, mais je ne le désire pas. Ils
sont en moi et je les laisse, abandonnés. Eux aussi pourtant
mériteraient mon attention, parfois. Alors je me contraints. Je vais
jeter un il à ces peintures, dont le trait du pinceau qui les ont
peintes se sont trompée, dont les couleurs n'ont pas réussi à créer
l'harmonie. Je les regarde, pour me
rappeler que toutes les peintures ne sont pas des chefs d'uvre, qu'une
collection se bâtit à coup d'essais ratés et tentatives infructueuses.
Et
toujours je retourne dans les grandes salles éclairées, qui recèlent
mes plus belles pièces. Je ne les mets pas sous verre, je tiens à les
regarder mais aussi les toucher, caresser les reliefs créés par la
peinture en séchant, sentir leur odeur.
J'ai
choisi pour elles un encadrement magnifique, digne des sentiments
qu'elles m'inspirent. Tout autre que moi ne comprendraient pas un tel
déluge de luxe, pour des croûte qu'il trouverait banales. Mais moi je
sais. Je suis l'artisan ou l'artiste, je suis le créateur, je sais
parfaitement ce que chacune représente.
Alors
souvent je me promène et je regarde. Je suis tenté parfois, d'apporter
des retouches, afin qu'elles soient plus belles encore. Ce n'est pas
trahir que d'améliorer, c'est embellir ce qui n'existe plus que dans ma
mémoire, comme un hommage aux morts, lavé des leurs vices et enrichi de
leurs vertus. Je suis tenté mais je le fais rarement. J'aime les
souvenirs bruts, que seul l'action du temps patine.
Le
temps arrondit les angles, estompe les contrastes, adoucit la
luminosité. Le temps ébavure et lisse. Le temps agit dans notre sens.
Je préfère le laisser faire et me laisser porter par lui, que de lutter
contre dans un combat perdu d'avance. For moi, il est le seul qui
puisse imprimer sa trace dans mes souvenirs. Je n'ai pas choisi, il
s'est imposé. Puisqu'il est là, qu'il soit mon allié plutôt que mon
adversaire, mon complice plutôt qu'un traître.
Il
y a des souvenirs que nul n'est capable de peindre. Ceux-là hantent les
couloirs des galeries, insaisissables. Ils attendent le jour où le
peintre saura. Ce jour, il prendra ses pinceaux, ses couleurs, une
toile vierge et les emprisonnera enfin. De tels souvenirs, je n'en ai
pas ou pas conscience. S'ils existent, ils flottent, discrets,
attendant patiemment leur heure. Eux savent, malgré moi, qu'un je
prendrai mon pinceau et ma palette et que je leurs donnerai corps.