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JAM
4 janvier 2005

Des chiens dans la glaise

Je suis dans le bain. Il aura fallu une journée, moins peut-être, pour retrouver mes repères et relancer la machine. L'arrivée, de bon matin, le café, pris à la machine qui, joie, fonctionnait (le café n'est pas bon vomi de cet engin, mais il fait partie du rituel « bonne journée » et j'enrage de parfois devoir m'en passer) les clopes, prises dans le paquet de Marlboro, les dernières, les dizaines de « bonne année » ou « meilleurs vœux ». Il est d'ailleurs frappant de constater combien les gens se forcent pour sacrifier à cette tradition. La plupart du temps, la formule est associé à un visage fermée, une moue ennuyée. Je fais partie de ces gens, en murmurant un « boaé » peu convaincant. Et pourtant, nul n'ose déroger à cette coutume, de peur de passer pour un ours mal léché. Pareil pour moi. Je me dis qu'allons, il faut faire des efforts, que je côtoie mes collègues quotidiennement, que cela n'engage à rien, que c'est une manière finalement assez simple de montrer son appartenance au groupe. Je suis loin d'être le seul. Nous aurions été nombreux à « oublier » de souhaiter la bonne année si la peur ou le manque d'envie de blesser ceux pour qui ces gestes comptent avait été moins forte. A moins que ce ne soit notre conditionnement aux convenances. Vers midi, tout le monde en avait quand même ras-le-bol de dire toujours la même phrase et il a été tacitement  convenu de cesser la mascarade.

Les élèves. Je les ai retrouvé sans réel plaisir mais sans ennui. Fidèles à eux-mêmes. Les vacances ne les ont pas changés. Plutôt tranquilles, c'est vrai que ce n'est pas toujours le cas. Aucune conversation n'a tourné autour du tsunami ou de ses victimes. Ils ne doivent pas regarder la télévision ou écouter la radio. Ou alors, ils n'en ont rien à faire. Je n'étais pas au courant des consignes de l'éducation nationale, enjoignant les enseignants à aborder le sujet en cours, je n'en ai pas parlé. A ce propos, il ne me semble pas avoir écrit une seule phrase là-dessus dans mon journal. A vrai dire, je n'en pense rien. Emu par le nombre de victimes, mon intérêt s'arrête là. Il est facile de s'émouvoir dans ces cas là mais que représente vraiment cette émotion ? Je ne me suis pas senti solidaire de ces gens. J'ai compatis, un peu, j'ai regretté ce qui est arrivé. j'ai pensé et me suis réjoui un instant, stupidement, qu'au moins cette catastrophe n'était pas imputable à la folie des hommes mais à la nature. J'ai pensé que peut-être, si les dons récoltés pour venir en aide aux survivants avaient été versés avant, il aurait été possible de construire des remparts et de se prémunir quelque peu contre les éléments naturels, épargnant ainsi des vies humaines et puis je me suis dit que non, que mon raisonnement s'assimile à un « on aurait pu » débile. Je crois que j'ai surtout du mal à concevoir la mort de plus cent mille personnes en un instant. C'est trop pour mon cerveau étriqué.

Je n'ai pas parlé du tsunami avec mes élèves, ni avec mes collègues d'ailleurs, ils n'en ont pas parlé entre eux. Ils ont parlé cul, voiture, filles, alcool, jeux vidéo et un peu cul aussi. Des conversations bouleversantes d'ennui dont je n'ai pas eu envie de me mêler. J'ai laissé le temps passer, à m'occuper comme je le pouvais, allant de l'un à l'autre pour leur enseigner des choses (c'est mon job après tout) pour les motiver ou les engueuler (on ne se refait pas)

Le rituel du midi a été respecté, le cocktail cantine, café, belote, avec une interruption désagréable mais obligatoire, sortir du lycée pour acheter des clopes.

L'après-midi, identique à la matinée. Soporifique.

Vite, rentrer chez moi.

Corriger des copies, dans l'urgence (elles sont restées dans mon sac pendant toutes les vacances, je n'ai pas osé y toucher, j'ai oublié) Remplir des bulletins. Faire mon sac pour aujourd'hui. La routine qui se remet en place, sans heurt ni violence, bien huilée.

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