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JAM
12 janvier 2005

Vernissage

Je me demande à quoi ressemblerait la vie d'un être qui, jamais,  n'aurait un seul regret. L'hypothèse me semble un peu trop invraisemblable pour y accorder foi, mais rien ne m'empêche de me poser la question. La vie serait-elle plus belle ainsi ? Vraisemblablement. Cela signifierait aussi que chaque besoin, chaque désir trouve sa réponse, dans un délai relativement court, afin que la lassitude n'engendre pas le regret. Je crois que de chaque désir assouvi, en naît un autre, plus intense, plus improbable à réaliser, et donc de l'être, qu'il soit en progression constante, gagnant de l'intensité et de la force. Non, décidément, cette hypothèse n'est guère valable. Je préfère l'abandonner.

Par contre, je sais que chacun cherche à éviter l'apparition de ces regrets, qui peuvent parfois aller jusqu'à miner notre existence (comme quand j'ai voulu rencontrer Philippe Sollers, par deux fois, et qu'il n'est jamais venu,  que de regrets ! De quoi vous pourrir l'existence) Prenons un cas concret. Ce soir, par exemple, j'étais invité à un vernissage. Un collègue m'avait dit : « passe, on boira des verres et quand il n'y en aura plus, on continuera chez moi. » Bon, présenté comme ça, on voit combien flatteuse est ma réputation auprès de mes collègues, mais c'était gentil de sa part, alors je ne lui ai pas fait remarquer. On peut aussi se demander où est passé l'art dès qu'il s'agit de vernissage, mais n'étant pas moi-même très versé en la matière, je me suis abstenu de tout commentaire. Entre nous, un vernissage, ce n'est bien que pour picoler, parce qu'en général les œuvres ne sont pas terribles (je médis un peu, ça ne mange pas de pain)

Donc, me voilà avec mon invitation (qui d'ailleurs n'avait rien d'officielle, lui même n'allant là-bas que pour boire et retrouver ses vieux potes) Premier réflexe, refuser. Les vernissages me gavent depuis bien longtemps déjà, surtout depuis que la qualité du buffet n'est plus ce qu'elle était, que les artistes chichent les bouteilles mais aussi parce que j'ai été un peu trop assidu à ces manifestations il y a quelques années et qu'au bout d'un certain temps, ça suffit. Je ne dis rien cependant, je ne fais que répondre évasivement, « oui, je verrai ce soir si je peux venir », qui ne veux rien dire du tout mais qui a l'avantage d'être tournée positivement, donnant l'air d'acquiescer alors qu'en fait, pas du tout.

De retour chez moi, je n'y pensais plus. Puis, en tchatant avec Camille, l'invitation me revient à l'esprit, alors que je tentais de lui expliquer que parfois, j'étais invité mais que je refusais par flemme, et qu'après je regrettais. Je me suis dit que c'était être la situation idéale pour illustrer mon propos (sauf qu'en fait, je ne sais pas si j'aurais eu tant de regrets que ça de ne pas y aller, mais bref)

Quelques minutes de cogitations plus tard, je me décide enfin à y aller. Ce que je fais, car une fois décidé quelque chose, je devient homme d'action, battant, que nul obstacle n'arrête. Je prends ma voiture (je compte boire mais au pire, je peux rentrer à pied, la galerie d'art n'est pas très loin de chez moi) je démarre, je roule. Une minute trente plus tard chrono en main, j'arrive et me gare (je fais dans le détail ce soir) Je descends de la voiture, ferme la portière à clé, remets celles-ci dans la poche gauche de mon pantalon (j'insiste sur les détails) contourne mon véhicule et me dirige, sous un crachin froid et pénétrant, vers les lieux du vernissage, qui se trouvent bien à dix mètres de ma bagnole. C'est dire si j'ai peu le temps de me mouiller et que le crachin j'en ai bien rien à faire. Mais c'était pour le réalisme du récit (j'arrête d'ailleurs, parce que c'est un peu pénible à écrire)

Par la vitrine de la galerie, j'aperçois mon collègue en contre-bas, un verre à la main, le visage rouge déjà, bien que je ne sache pas s'il s'agit de l'alcool ou de la chaleur qui règne dans les murs. Dehors, une petite foule, compacte, fume des clopes en buvant des gobelets en plastique qui contiennent un quelconque breuvage. « Aie ! » me dis-je, « une galerie non-fumeur, me voilà verni » (à noter le jeu de mot verni/vernissage, excellent) Je m'applaudis et me fait rire avec ce trait d'esprit incomparable et en même temps, je bouscule un peu le troupeau pour pénétré dans l'enceinte de l'exposition.

Elle se déroule sur deux étages, un rez-de-chaussée et un sous-sol, pour une superficie égale à environ quarante mètres carré (j'ai peur de me perdre) Je ne prends pas la peine de regarder ce qui est exposé au rez-de-chaussée et me dirige immédiatement vers l'escalier (à cinquante centimètres de l'entrée) En descendant, je manque tomber et maudit intérieurement ces ouvriers de merde qui ne sont plus capables de fabriquer des escaliers dans lesquels on peut descendre ou monter sans risquer de se rompre les os. Je suis un peu de mauvaise foi, c'était la première fois que cela m'arrivait. Et en plus, c'était peut-être la faute des carreleurs, ou même de la femme de ménage, si elle a abusé de cire pour faire briller les marches. J'arrive cependant en bas sans dommage.

Je me dirige vers mon collègue, qui tient la permanence près du buffet, qui contient, à l'heure où j'arrive, deux bouteilles de rouge, vides, et une bouteille de jus d'orange gazeux, de marque inconnue. Plus quelques assiettes en plastiques sur lesquelles reposent des cacahouètes éparses et d'aussi peu nombreux petits gâteaux apéritifs. Pas de quoi se taper le cul par terre en s'extasiant sur l'abondance des mets et la profusion des nectars.

Je le salue, il me présente rapidement ses vieux potes (il me dit : « des vieux potes » en me les montrant) Je lui dis que, comme prévu, je viens boire un verre. Et là, miracle, il reste un gobelet de vin rouge. A la surface, ne flottent que quelques dizaines de morceaux de liège, provenant sans doute, et espérons-le, du bouchon (sinon, je ne sais pas ce que c'était) Bon, c'est déjà ça, je ne repartirai pas le gosier sec.

Je mate un peu les œuvres du sous-sol, qui se limitent à deux écrans de télévision, sur lesquels passent en boucle des films assez court. J'en regarde un. Une souris est filmée, elle est attrapée par un chat, qui joue avec. Chaque mini-scènes est entrecoupée d'écrans noirs, avec un mot écrit en blanc. J'ai noté : désertion, lapidation, séparation,… que des mots en « tion ». Bon, c'est amusant cinq minutes et ça tombe bien, c'est à peu près le temps que dure le film. J'ai la flemme de regarder l'autre film.

J'échange quelques phrases avec mon collègue. Une de ses amies arrive, un peu originale, mais rien ne m'étonne (avec les artistes, il faut s'attendre à tout au niveau de l'habillement. C'est quand il sont habillés « normalement » qu'il faut commencer à s'inquiéter) Nous échangeons deux ou trois paroles, mais franchement, je n'ai rien à lui dire et je commence à m'ennuyer grave (ça fait bien un quart d'heure que je suis arrivé) Un chiard est là, qui mériterait des baffes tant il est horripilant, à crier et à faire chier le monde avec sa putain de voiture en plastique. Je me tais. Les autres se chargent de dire combien il est pénible, inutile que j'en rajoute. La mère arrive, un des amis de mon collègue lui fait la remarque qu'il a de la vitalité (comprendre : il est saoulant), ce que la mère confirme. Il ajoute aussi qu'il lui a lancé sa voiture à la figure, ce qui n'est pas vrai d'ailleurs, mais il espérait sans doute que la mère fiche une baffe au môme ; c'était tactiquement bien joué. Manque de pot, la mère se contente de lui dire que ce n'est pas bien, qu'il ne faut pas faire ça. Enfin, petite consolation, le regard étonné du gamin, regardant l'ami de mon collègue et lui disant : « mais c'est pas vrai, je n'ai pas lancé de voiture. » Mais non, je ne suis pas horrible.

Bon, j'en ai décidément marre de ce vernissage. Le buffet est plus que lamentable, il est inexistant, et je n'ai pas envie de parler. Je cherche donc une excuse digne pour m'esbigner. Je trouve. Je dis à mon collègue : « comme il n'y a rien à boire, je vais fumer une cigarette dehors. » Et hop, je m'esquive. Moi aussi, je peux être rusé.

Je profite de la proximité du Libanais pour aller acheter un shawarma. Je le mange rapidement. Je me tâte un instant pour savoir si oui ou non, je rejoins mon collègue et décide qu'en fin de compte non. J'ai ma dose pour ce soir, je rentre. Toute l'opération vernissage aura bien duré trois quart d'heure. Mais au moins, je n'ai pas le regret de ne pas y être allé.

Ah, j'oubliais. J'ai quand même eu la satisfaction de voir une personne manquer tomber dans les escaliers. Ca m'a rassuré sur mon équilibre et en plus, ça m'a fait rire. C'est tellement plus drôle quand ça arrive aux autres.

 

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