Harmoniques
En tirant sur ma cigarette, je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir écrire aujourd'hui. La plupart du temps, je ne sais pas, tant j'ai pris l'habitude, depuis bientôt quatre ans qu'existe ce journal de mettre à part mes sentiments quand j'écris. Pour être tout à fait exact, j'exprime parfois mes sentiments mais seulement sur des sujets qui ne m'apparaissent pas comme important. Tout ce qui me touche vraiment, je le garde pour moi. Parfois, je tente de changer et même, jy arrive, mais jamais ce nest naturel, jamais malgré la satisfaction que jéprouve toujours à le faire, comme une victoire sur moi-même, jen tire une leçon et toujours jen reviens à me cacher, à ne pas les mettre à disposition à personne dautre que moi-même.
Ce journal sera toujours frappé du sceau du secret, que personne na demandé, bien au contraire devrais-je dire tant lattente est importante en matière de sincérité et de vérité de la part des lectrices (et des lecteurs) Mais qui sont-ils pour exiger ça ? (quand je suis lecteur, jai les mêmes exigences mais là, je parle en tant que diariste) Quest-ce qui leur permet davoir autorité sur ce que lauteur du journal ne veux pas dévoiler ? Rien. Ils sont là, prennent ce quon leur offre et devraient se taire, satisfaits déjà davoir entraperçu au travers une lucarne ce qui se trame derrière les pages dun anonyme. Mais non, lêtre humain nest pas comme ça. Il veut tout savoir, tout le temps. Il a sa curiosité qui le démange, sa compassion parfois, sa pitié. Sans compter les résonances qui se déclenchent à la lecture de telle ou telle entrée. Lire, cest comme pincer une corde de guitare, en effleurant celle-ci dun doigt de lautre main. Selon que lon aura placé le doigt à tel ou tel endroit, des harmoniques naîtront ou le son sera étouffé.
Lire cest mettre un doigt sur la vie de quelquun et attendre de voir sil en sort un son ou non. Quand rien ne se passe, cest que la résonance ne se sera pas produite, le doigt aura été placé au mauvais endroit. La lectrice (le lecteur) passera son chemin. Quun son se produise et lenvie de mélodie naîtra. Mais pour une mélodie, il faut connaître la musique. Cette musique, cest les mails que la lectrice (le lecteur) enverra au diariste, ces tentatives pour comprendre mieux, pour partager quelque chose quelle sent quelle a en commun. Il lui semble, parce que certains écrits résonnent en elle, quelle pourra donner à lauteur ses impressions, quelle pourra éventuellement le conseiller, apporter de leau à son moulin. Mais non, ce nest pourtant pas une obligation. Ce nest pas parce que des expériences auront été communes quelles engendreront les mêmes conséquences au niveau des sentiments, ni les mêmes solutions.
Ce nest pas parce que des sentiments auront été commun que ce sont les mêmes raisons, les mêmes faits qui les auront déclenchées. Et quand bien même. En admettant que de mêmes expériences auront entraîné les mêmes conséquences que le chemin parcouru par chacun sera identique. On peut aller de Paris à Brest, en passant par Lille ou par Marseille. Que litinéraire choisi soit différent et les expériences seront différentes. Quand en plus on ne choisi pas daller de Paris à Brest mais que ce trajet vous est imposé et le chemin nen sera que plus diversifié suivant la nature des gens. Il y a ceux qui voudront être à destination tout de suite, le plus rapidement possible, sans tarder et ceux qui voudront prendre le temps, profiter des paysages ou dune étape gastronomique. Il y a ce quon veux mais aussi ce quon peux. On voudra peut-être se rendre rapidement sur les lieux de destination, mais on ne pourra peut-être pas. Parce que des obligations externes ne le permettront pas (dans le cas du voyage, largent par exemple) mais comme on sait quil faut quand même y aller, on ira. A son rythme. Tout ça pour dire que les résonances, si elles existent, ne reposent pas toujours sur des réalités. La musique est créée daprès le doigt que nous plaçons sur le manche de la linstrument de musique et quelle est la probabilité pour que le doigt du lecteur se place au même endroit ? Très faible. Le son pourra se faire entendre, mais ce sera rarement le même que le son quentendra le diariste.